Quand le programme de rétablissement des liens familiaux favorise le processus de deuil et de guérison

Par Jennifer Barnable, rédactrice principale de contenu numérique
 
Lorsque Cristina Austin a fait appel à la Croix-Rouge canadienne en janvier 2020, elle n’avait qu’une question à poser : « Qu’est-il arrivé à mon grand-père? ».
 
Klaus Schumacher en uniforme durant la Seconde Guerre mondiale.

Durant la Seconde Guerre mondiale, Klaus Schumacher était déployé sur le front de l’Est de l’armée allemande, et sa famille le vit pour la dernière fois en mai 1944.

Seule enfant encore vivante de sa fratrie, Hildegard Patricia, la mère de Cristina, a passé sa vie à espérer le retour de son père et à chercher des réponses.
 
En tant que Canadienne de première génération et fille d’immigrants allemands arrivés à Montréal au début des années 1960, Cristina a toujours été intriguée par son histoire familiale, et ce, pour plusieurs raisons.
 
« Mes parents, des enfants de la guerre, sont nés en Allemagne au tout début de la Seconde Guerre mondiale, explique-t-elle. Ça a marqué leur jeunesse. Ma mère n’était qu’une enfant lorsqu’elle a perdu ses deux parents, alors que la famille de mon père a dû fuir le pays, mais a réussi à rester ensemble. »
 
Explorer son héritage traumatique
 

Au fil des ans, Cristina a réussi à glaner quelques détails au sujet de ses grands-parents maternels, mais plusieurs questions restaient sans réponse, surtout celles à propos de son grand-père disparu.

 
Le journal de Klaus révèle son opposition aux efforts de guerre nazis.
Elle avait décidé de rédiger un mémoire au sujet de l’héritage traumatique, une triste réalité pour toutes les générations de personnes ayant vécu une perte ou un deuil. Plus particulièrement, elle comptait examiner l’héritage de la guerre sur la génération suivante. 

« J’ai connu seulement deux de mes grands-parents. Quand je regarde des photos des deux couples, celles des parents de ma mère sont seulement en noir et blanc. Tout ce que je savais au sujet de mon grand-père Klaus, c’est qu’il avait résisté à joindre la Wehrmacht parce qu’il s’opposait aux nazis. »
 
« À un certain point, il n’a pas eu le choix de le faire pour éviter de mettre la vie de sa famille en danger. En 1943, à l’âge de 43 ans, il s’est enrôlé comme fantassin. Par principe, il a décliné toute promotion, car il se refusait à appuyer la cause nazie. »

Klaus a laissé une trace écrite inestimable, qui est devenue un véritable trésor familial. Il s’agissait du seul objet tangible auquel sa famille pouvait s’accrocher.
 
« J’ai encore son journal dans lequel il raconte les dix mois de son aventure, révèle Cristina. Selon ses dires, il savait qu’il allait vers sa propre mort. Lorsqu’il est revenu à la maison durant une permission, il y a laissé son journal. Un mois plus tard, il a disparu. Les tentatives pour le retrouver, dont la dernière remonte à 1968, n’ont rien donné de concluant. »
 
Klaus et Patricia, en Allemagne.
La famille Schumacher, et plus particulièrement sa fille Patricia, a toujours été tourmentée par la disparition de Klaus.
 
« Son statut de soldat disparu au combat hantait ma mère, ajoute Cristina. Dans les années 1970 et 1980, elle se disait qu’il était peut-être encore vivant et qu’il avait été fait prisonnier de guerre. Quand nous visitions l’Allemagne, nous pouvions nous recueillir sur la tombe de ma grand-mère maternelle et y déposer des fleurs. Mais pour mon grand-père, nous n’avions pas de tombe ni de réponses. »
 
Réunir les familles
 
Cristina s’est tournée vers son bureau local de la Croix-Rouge à Toronto, où elle et sa famille vivent désormais. Elle avait entendu parler d’un service de retraçage de personnes disparues et, après avoir d’abord approché la Croix-Rouge allemande, avait été redirigée vers la Croix-Rouge canadienne.

C’est ainsi que Cristina a été mise en contact avec Radmila Rokvic-Pilipovic, la gestionnaire du Programme de rétablissement des liens familiaux de la Croix-Rouge canadienne, qui l’a aidée à retrouver son grand-père Klaus.
 
« Le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge est le plus grand réseau humanitaire au monde. Il a la responsabilité d’atténuer la détresse des familles séparées en raison de conflits armés ou d’autres situations associées à la violence, aux mouvements migratoires et aux catastrophes naturelles », explique Radmila.

 
Patricia et Klaus durant un moment de complicité père-fille.
« Pour ce faire, la Croix-Rouge canadienne offre plusieurs services au public par l’entremise du Programme de rétablissement des liens familiaux, ajoute-t-elle. Nous aidons à prévenir la séparation des familles et la disparition des personnes, à rétablir et à maintenir le contact entre les membres d’une même famille et à faire la lumière sur le sort de personnes portées disparues. »
 

Le Programme de rétablissement des liens familiaux

L’équipe du Programme de rétablissement des liens familiaux offre divers services, notamment :
  • Confirmer si une ou un proche a été détenu;
  • Faire parvenir un message à un être cher qui se trouve dans une région où le service postal ou d’autres moyens de communication sont interrompus en raison d’un conflit, d’une catastrophe majeure ou d’une autre situation d’urgence;
  • Lorsque la communication est difficile pour cause de maladie, obtenir des rapports sur la santé et le bien-être d’une personne vivant dans un autre pays;
  • Transmettre des documents officiels tels que des dossiers scolaires et des certificats de naissance à des mineurs ou à des membres de leur famille dans des zones de conflit armé par le truchement du réseau du Comité international de la Croix-Rouge (CICR);
  • Répondre aux demandes de renseignements au sujet des personnes disparues durant la Seconde Guerre mondiale; la Croix-Rouge peut alors tenter d’obtenir des documents liés à la déportation, à la détention, à l’internement ou au travail forcé durant la guerre;
  • Mettre les personnes en contact avec d’autres organismes et fournisseurs de services reconnus susceptibles de pouvoir les aider à retrouver leur famille dans les cas où la demande dépasse le champ d’action de la Croix-Rouge.
Retrouver la trace d’une personne disparue durant la Seconde Guerre mondiale
 
Le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge offre une protection et une aide humanitaire aux victimes de la guerre et d’autres situations associées à la violence, à la migration ou aux catastrophes.

« Le Mouvement gère le Réseau des liens familiaux, une entité mondiale qui regroupe l’Agence centrale de recherches du CICR, ses délégations et les 192 Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge », explique Radmila.
 
« Ce réseau mondial applique les mêmes principes et les mêmes méthodes de travail dans tous les pays où il est appelé à intervenir, sans égard au statut juridique des personnes concernées, ajoute-t-elle. Grâce à ce réseau unique, la Croix-Rouge canadienne peut aider les personnes dans le besoin, notamment par ses activités de rétablissement des liens familiaux. »

 
Dossiers historiques contenant une photo de Klaus Schumacher, fournis par les archives centrales de la Croix-Rouge allemande.
Attendre que le passé révèle ses secrets

Radmila a aidé Cristina à entrer en contact avec le Réseau des liens familiaux. « Toute personne a le droit de savoir ce qui s’est passé après la disparition d’un membre de sa famille, explique-t-elle. Les guerres entraînent la disparition de plusieurs personnes, ce qui fait vivre de l’angoisse et de l’incertitude aux familles. La Croix-Rouge, par l’entremise du Réseau des liens familiaux, peut tenter d’obtenir des documents relatifs à la déportation, à la détention, à l’internement ou au travail forcé de ces personnes, et ainsi aider à faire la lumière sur leur sort. »
 
En octobre, lorsqu’elle a reçu le rapport de la Croix-Rouge allemande, Radmila s’est empressée d’envoyer les détails à la famille avide de nouvelles.

Même après plusieurs lectures du rapport, Cristina restait captivée par cet extrait :

« Klaus Schumacher a fort probablement été tué entre le 20 et le 30 juin 1944, à proximité de Vitebsk. Malheureusement, aucun rapport récent ne permet de déterminer l’endroit exact où se trouve Klaus Schumacher. Le réexamen de nos bases de données et des documents n’a donné aucun résultat concluant. Les dossiers relatifs aux prisonniers de guerre que nous avons reçus des archives centrales de Russie depuis les années 1990 ne contiennent aucune information au sujet de Klaus Schumacher, bien que nous ayons utilisé différentes graphies de son nom. Il fait malheureusement partie des personnes portées disparues jusqu’à ce jour. »

Cristina explique : « Même si aucune date précise n’a pu être établie, on nous a donné une période de 10 jours ainsi qu’un lieu d’intérêt, en Biélorussie. Mon grand-père est donc tombé au front de l’Est. Nos dernières recherches remontaient à la fin des années 1960, et la Croix-Rouge peut maintenant consulter de nouvelles bases de données, en partenariat avec la Russie. L’une d’entre elles n’est accessible que depuis une trentaine d’années. C’était la pièce du casse-tête qu’il nous manquait depuis si longtemps. »
 
Signature de Klaus au verso de sa photo d’identification prise durant la guerre : un cadeau inestimable remis à sa famille, environ 75 ans après sa disparition.
Mais la découverte ne s’est pas arrêtée là.

« En février l’année dernière, j’ai reçu un message de suivi de la part de Radmila, avec de nouvelles informations », ajoute Cristina. Il s’agissait d’un document original où figurait la photo que les autorités avaient au dossier de mon grand-père, avec sa signature au verso. »
 
« Nous avions déjà une copie de cette photo, mais nous avons été abasourdis de voir l’originale avec sa propre signature ainsi que les détails sur son lieu de décès, inscrits de manière posthume. »
 
« C’était particulièrement émouvant de recevoir un document qu’il avait touché de ses propres mains avant sa disparition », ajoute Cristina.
 
Pouvoir tourner la page

En se lançant dans cette mission, Cristina espérait que ses efforts et ceux de la Croix-Rouge apporteraient un peu de réconfort à sa mère, la seule enfant de Klaus encore en vie. Elle affirme que les découvertes de la Croix-Rouge ont eu un effet immense sur sa famille.

 
Les services du Programme de rétablissement des liens familiaux ont aidé Cristina et Patricia à vivre leur deuil.
« J’ai eu le privilège de présenter à ma mère de 81 ans le sort de son père adoré. Ma mère était tellement émue quand je lui ai annoncé la nouvelle. Depuis 18 ans, elle dormait avec le journal de son père dans un tiroir de sa table de chevet. Elle est enfin parvenue à le lire pour la première fois. Ça l’a aidée à vivre son deuil, et par le fait même, cela m’a permis de tourner la page. »

Cristina ajoute : « J’espère sincèrement que toute autre personne souhaitant se lancer à la recherche d’un être cher sera informée de ce service incroyable, offert gratuitement par la Croix-Rouge. Leurs découvertes ont changé notre vie et nous ont apporté la sérénité. »
 


 
Si vous êtes à la recherche d’un être cher et souhaitez déposer une demande ou en apprendre davantage au sujet du Programme de rétablissement des liens familiaux, n’hésitez pas à communiquer avec nous.

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