Carnet de la Dre Perreault en Sierra Leone

 La Dre Danielle Perrreault nous écrit en direct de Kono, en Sierra Leone où elle effectue une mission de quatre semaines pour lutter contre le virus Ebola. Ce billet fait suite à ses premières impressions  publiées le 22 décembre dernier.

22-23 décembre

L’appréhension des derniers jours a fait place à un pur soulagement. L’accueil des membres de l’équipe médicale déjà en place, et provenant d’une dizaine de pays, a été des plus sympathiques d’autant plus que tous nos bagages (nous sommes six) ont été égarés à Casablanca où nous sommes passés en transit. Les Sierra Leonais ont pas mal plus perdu que moi et personne ne pleurera la perte de mon shampoing préféré et de mes bobettes !
 
Comme il n’y a pas eu de nouveaux cas répertoriés dans le district, les activités du marché ont repris. En matinée, à la recherche d’un substitut pour le shampoing perdu, les « bienvenus » sortent de toutes les bouches. Seule une dame a pris la précaution de laisser tomber la monnaie dans ma main plutôt que de me toucher, suspectant sans doute que je travaillais pour « Ebola »…
 
Une collègue anglaise, Rosaline, m’introduit aux us et coutumes du centre de traitement. Je me sens à l’école primaire où je repars à zéro. J’apprends à situer les patients dans leurs tentes, à vérifier le degré d’hydratation, d’inconfort ou de souffrance et à comprendre qui fait quoi et quand. J’apprécie l’expertise du personnel local qui m’aide à me vêtir de la bonne façon et surtout à enlever tout l’équipement calmement et par étape !

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En après-midi, parmi les transferts de Kono, où il y a explosion de cas depuis trois semaines, un enfant de 9 ans, Sayah, est arrivé en piètre état, déshydraté et semi-conscient. Il s’est tapé 5 heures de pistes dans les montagnes à l’arrière d’une ambulance sans air climatisé. Son état s’est légèrement amélioré avec un soluté, mais le pronostic est sombre. Nous verrons demain s’il passera la nuit.
 
Sur une note plus heureuse, Mary, une infirmière de Kono qui s’est infectée en soignant la population de Kono, est aujourd’hui guérie. À l’annonce de la nouvelle, elle dansait dans tous les sens. Après ce qu’on appelle « the happy shower », je lui demande ses premières impressions. Regardant le ciel, elle remercie Dieu de l’avoir protégée contrairement à trois de ses collègues.

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24 décembre
 
4 h 45 : Le mollah appelle à la prière musulmane. J’ai beau renfoncer mes bouchons d’oreilles, je ne parviens pas à m’endormir. Alors, j’essaie de suivre la mélodie plutôt que de m’en faire une ennemie et je parviens à sommeler quelques instants.
 
7 h 30 : Départ pour le centre avec une équipe joyeuse. Erin demande à chacun de nous notre résolution de l’année. « Ne pas avoir Ebola », répond Martin, un infirmier irlandais. Ces moments d’humour sont importants pour rester en équilibre.
 
Sayah est mort à 3 h du matin. Seul.
 
La tournée est éprouvante. Les lunettes s’embuent rapidement laissant une étroite fenêtre en zigzag de 2-3 mm au centre. Je me contorsionne le cou pour voir où je vais. Au moins, je n’ai pas eu, comme hier, ces brèves attaques où j’ai vraiment l’impression de manquer d’air avec le profond désir de sortir en courant et en retirant mon masque. Exercice contrôle zen au plus haut point !
 
En après-midi, nous nous précipitons au centre de triage à l’annonce de l’arrivée de cinq patients de Kono. Ils ne peuvent sortir de l’ambulance avant la désinfection de l’arrière du véhicule avec une solution chlorée. Il doit faire 40 degrés à l’intérieur. Puis, un à un, soutenu par des infirmiers en PPE, ils sont assis en face de moi à distance de 3 mètres. Un bref interrogatoire permet d’en identifier trois comme cas probables. Il y a dix jours, ils ont été en contact avec un grand-père, un beau-frère, un mari atteint d’Ebola. Je suis estomaquée. Devant moi, de jeunes adultes en pleine forme s’effondrent souffrant de diarrhée et de vomissements. Plus qu’inconfortable. Lequel va survivre ?
 
C’est loin d’être fini, les cas s’accumulent au centre de rétention de Kono. À la suite de la découverte de cet important foyer d’infection, la Croix-Rouge bâtit un nouveau centre de traitement qui sera terminé début janvier. En attendant nous recevons, quand une ambulance est disponible, tous les cas de Kono.
 
Réveillon de Noël en soirée. J’ai reçu un beau cadeau de Noël : nos valises ont été retrouvées et seront livrées dans quelques jours. Je suis contente puis, presque déçue. Je m’étais fait à l’idée de cette simplicité involontaire !


25 décembre

Atmosphère festive à l’arrivée. Le personnel apprécie joyeusement une clé USB de la Croix-Rouge qui contient leurs photographies.
 
Dix nouvelles admissions aujourd’hui. Toujours de Kono. Nous sommes inquiets de l’état d’un petit gamin de 9 ans. Il souffre de diarrhées sanguinolentes et devient moins combatif. Hier, il a dit à une infirmière d’être polie sinon il refusera de boire. Ou alors à ma collègue Mélissa : « Je te laisse me mettre un soluté aujourd’hui mais pas demain. »
 
Je fais la tournée avec Sapa, un des nombreux infirmiers qui travaille au centre depuis septembre. La plupart s’y sentent plus en sécurité que partout ailleurs grâce à cette mise en place de protocoles de décontamination très stricts. Alors, ne craignez pas pour moi, je ne pourrais être en meilleur endroit !
 
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26 décembre

Notre petit gamin est mort dans les bras d’une infimière cet après–midi. Ainsi qu’un des deux hommes admis il y a deux jours. Une mort qu’on ne s’explique pas chez les patients atteints d’Ebola, soudaine, alors qu’il était plutôt stable. Une mère trop malade pour prendre soin de son bébé de 9 mois lui aussi atteint. Etc. Puis 7 nouvelles admissions de Kono.

De retour au campement, Tania m’annonce que je pars demain pour ce centre névralgique, le district de Kono où, vous l’aviez compris, la situation est très critique.
 
 

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