Les ailes de la solidarité

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De Jean-Pierre Taschereau, Croix-Rouge canadienne

Deux jours après la catastrophe du 26 décembre dernier, les premières équipes de réponse d’urgence (ERU) du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge se dirigeaient vers le Nord de l’île de Sumatra, en renfort aux volontaires de la Croix‑Rouge indonésienne qui prêtaient secours au victimes du sinistre depuis le premier jour.

Dépêché d‘urgence à Jakarta par la Croix-Rouge canadienne le 29 décembre, je ne cessais de penser au cours du voyage au sort des collègues et amis avec qui, en 2001, j’avais cohabité pendant cinq mois à Aceh. La Croix-Rouge avait perdu plusieurs membres de son personnel à cause du sinistre.

Lors de catastrophes naturelles, la Croix-Rouge internationale intervient en priorité dans le rétablissement de l’approvisionnement en eau potable et en nourriture, dans la distribution d’abris et de couvertures ainsi que dans le déploiement d’hôpitaux de campagne pour pourvoir aux besoins des survivants.

Les vagues qui s’étaient abattues sur Aceh avaient détruit sur leur passage tous les systèmes de collecte d’eau de pluie des habitants, en plus de contaminer les puits d’eau potable avec de l’eau salée. Dans le premier mois suivant le sinistre, les volontaires de la Croix-Rouge indonésienne avaient récupéré plus de 60,000 cadavres.

Il était donc crucial de déployer les ERU spécialisées en eau, en assainissement et en santé primaire aussi rapidement que possible.

Or, les contraintes logistiques compliquaient considérablement le travail des agences humanitaires. Les ponts et les routes qui reliaient Aceh au reste de l’île de Sumatra avaient été détruits et la seule façon d’envoyer les secours était par voie aérienne. Même le port de Banda Aceh avait été si endommagé que le débarquement de matériel par cargo ne pourrait s’effectuer que plusieurs semaines plus tard, une fois les quais réparés.

L’aéroport de Medan, point d’entrée de toute l’aide qui arrivait en Indonésie, devint en quelques jours un énorme goulot d’étranglement : les avions envoyés par les agences internationales arrivaient plus rapidement qu’il n’était possible d’acheminer leur cargo sur le terrain. Il fallait trouver une solution de rechange.

C’est ainsi que j’arrivai à l’aéroport de Batam, une île au Sud de Singapour qui avait été épargnée par le tsunami. Pas moins de sept avions affrétés par les Croix-Rouge de différents pays se trouvaient alors en route vers l’Indonésie avec leurs ERU. Un bref entretien avec la Croix-Rouge locale, le Gouverneur et les autorités aéroportuaires suffit pour nous assurer leur soutien total à nos opérations, et c’est ainsi que je pus envoyer un bref message au Siège de la Croix-Rouge à Genève : tout le trafic aérien à destination de l’Indonésie devait désormais se rendre à Batam.

Comme j’allais devoir le constater plusieurs fois au cours des semaines qui allaient suivre, chaque problème avait une solution qui menait à de nouvelles difficultés : dès les premiers jours de l’opération, l’aéroport de Banda Aceh dû limiter l’accès à son espace aérien aux avions capables d’effectuer leur vol de retour sans refaire le plein de carburant. La chaîne d’approvisionnement en carburant, compromise par la destruction des routes, n’arrivait pas à répondre à la demande accrue que l’incessant trafic aérien représentait.

C’est alors que la compagnie pétrolière British Petroleum prit l’initiative de mettre à notre disposition un C-130 Hercules basé à Singapour. L’appareil, doté de réservoirs de carburant supplémentaires, effectua sa première liaison avec Banda Aceh le 5 janvier. Au cours du mois qui allait suivre, plus de 360 tonnes de matériel, incluant des génératrices, des véhicules 4x4, des pompes, des médicaments, des tentes, de la nourriture et des couvertures, et 53 membres d’ERU allaient ainsi être envoyés sur le terrain à bord de l’appareil.

Des centaines de milliers de survivants étaient cependant toujours coupés de la capitale provinciale et de l’assistance qui s’y trouvait. Il fallut donc mobiliser des hélicoptères pour transporter les équipes vers leurs bases d’opérations le long des deux côtes où la Croix-Rouge opérait. Des dizaines de vols furent nécessaires au déploiement de toutes les ERU.

L’effort allait être récompensé : L’ERU française fournissait plus de 90 000 litres d’eau potable par jour aux habitants de Samalanga, alors que l’hôpital de campagne japonais à Meulaboh recevait quotidiennement plus de 300 patients. C’est le travail assidu de ces équipes – et de dizaines d’autres provenant de nombreuses organisations locales et internationales- qui permit d’éviter qu’une seconde tragédie ne s’abatte sur la population d’Aceh.

Je me souviens qu’en 2001, alors que nous buvions tranquillement un thé près de la mosquée, un imam et moi discutions des relations entre le monde musulman et l’Occident. Ses paroles m’avaient frappé : « Nous ne sommes que des branches différentes d’un même arbre qui s’appelle l’humanité ».

À travers ces équipes de secours arrivant des quatre coins de la planète, des Émirats Arabes au Japon, du Qatar au Canada, je fus de nouveau le témoin de la manifestation d’un pouvoir qui transcende les différends religieux et politiques, le pouvoir de l’humanité.

Cet article est paru à l'origine dans le bulletin du Consortium Canadien sur la Sécurité Humaine.