Voyage dans le Nord et le Nord-Est du Sri Lanka
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par Pamela Davie, Croix-Rouge canadienne
Debout sur l’accotement d’une route poussiéreuse, les passagers du vol 771 d’ExpoAir attendent en silence leurs bagages dans la chaleur matinale. J’ai ressenti un fort sentiment de reconnaissance et de sobriété lorsque le véhicule blanc du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), arborant une croix rouge sur le capot, s’est arrêté de l’autre côté des barbelés et, le moteur coupé, a attendu patiemment avec la douzaine de passagers de la compagnie aérienne avant de quitter l’aéroport militaire de Jaffna.
Le CICR est présent au Sri Lanka depuis 1989 où il a établi de bonnes relations avec les autorités locales afin d’aider les populations touchées par le conflit dans le nord et le nord-est du pays. Un cessez-le-feu a été conclu en 2002 entre le gouvernement du Sri Lanka et les Tigres libérateurs de l'Eelam tamoul (TLET).
Conformément au mandat que lui confère les Conventions de Genève, la Croix-Rouge protège les civils, les prisonniers de guerre et les détenus en incitant les autorités à respecter leurs obligations internationales en vertu des Conventions. Au Sri Lanka, cela comprend aider les civils à se déplacer entre les régions contrôlées par le gouvernement et celles contrôlées par les TLET. Au cours des récents efforts de secours, la Croix-Rouge a collaboré avec les autorités locales de toutes les régions afin de faciliter le transport de tous les articles de secours vers le Nord du pays, y compris 700 camions du CICR transportant des articles de secours.
Au cours de la semaine, je prévois rencontrer des intervenants de secours (délégués) de la Croix-Rouge canadienne travaillant dans la région qui ont joué un rôle clé au cours des premières semaines des efforts de secours, pour en savoir davantage sur la situation actuelle des populations sinistrées vivant dans le nord et le nord-est du Sri Lanka.
J’étais accompagnée par des membres de l’équipe d’évaluation de la Croix-Rouge canadienne : Judi Fairholm, directrice, ÉduRespect: Prévention de la violence et des mauvais traitements, Croix-Rouge canadienne, qui a abordé les besoins psychosociaux des survivants, ainsi que Lily Montano, une déléguée en santé qui travaille dans le nord du pays depuis janvier 2004.
La première personne que nous avons rencontré est Fred Robarts, chef des opérations du CICR à Jaffna. Cet expatrié britannique nous a expliqué le profond impact psychologique que le sinistre a eu sur la population, dont 90 % ont déjà connu au moins une fois avant le tsunami le traumatisme d’un déplacement en raison d’un conflit.
«Les personnes directement touchées par le tsunami vivaient au bord de la mer, qu’ils croyaient connaître. Ils avaient subi les effets de conflits, mais ils ont réalisé qu’ils n’étaient pas à l’abri de la nature. Ils se demandent maintenant qu’est-ce qui peut bien leur rester?»
En ce qui a trait à la santé psychologique et physique, les collectivités du Nord sont confrontées à certains problèmes importants à la suite du tsunami dont l’accroissement du nombre de cas de dépression, de troubles du sommeil, de suicides et d’alcoolisme.
La majorité des personnes tuées étaient des femmes et des enfants, et de nombreux hommes ont été témoins de leur mort sans pouvoir leur porter secours. Dans une société où le rôle assigné à chacun des sexes est clairement défini, les hommes doivent désormais porter un double fardeau à titre de chefs de familles monoparentales. Leur perte personnelle, combinée à la destruction de leurs bateaux et de leurs moyens de subsistance, les rend plus susceptibles de souffrir de l’impact psychologique du sinistre.
Le Dr Daya Somasundaram, chef du département de psychologie de la faculté de médecine de l’Université de Jaffna, confirme que l’aide psychosociale est une priorité pour les personnes touchées par le tsunami. Il note que les enfants et les jeunes souffrent eux aussi, comme en font foi leurs cauchemars, leurs phobies et l’amplification de leurs émotions. Toutefois, il souligne que les organisations bien intentionnées doivent prendre en considération le type d’aide psychologique nécessaire ainsi que le contexte culturel dans lequel elle est offerte.
Selon le Dr Somasundaram, moins de 10 % des personnes souffrant de dépression ou d’un traumatisme à la suite du tsunami ont besoin d’une aide professionnelle, les autres ont plutôt besoin d’interventions communautaires comme des activités d’établissement de liens amicaux, d’écoute et de partage. «Les survivants ont un sentiment de culpabilité et revivent sans cesse les événements. On doit créer des groupes de soutien pour comprendre le stress et la tension et savoir comment les atténuer. » Il recommande aussi d’obéir à des rituels et de tenir des activités des souvenir afin d’aider au processus du deuil.
Le Dr Somasundaram dirige le North East Secretariat for Human Rights (NESHR), l’organisme chargé de la coordination de l’aide psychosociale dans le nord-est du Sri Lanka, et il a conçu la formation permettant aux intervenants en santé communautaire d’intervenir auprès des personnes aux prises avec l’impact psychologique de la guerre et de les aider. Il a adapté le programme aux besoins de cette même population qui est maintenant touchée par une catastrophe naturelle. «Ç’a été un coup dur, mais les gens d’ici en ont vu d’autres dans le passé et sont très courageux.»
J’ai remarqué ma collègue Judi qui opinait de la tête. Durant le reste de notre voyage, elle nous a fait remarquer trois hommes qui pêchaient en se tenant sur des pierres dans une rivière, de la musique provenant de l’intérieur d’un petit magasin entouré de débris et des employés de la voierie appliquant une couche de peinture fraîche sur un pont qu’on venait à peine de réparer. «Les gens sont incroyablement résilients», répétait-elle.
Mes collègues Judi et Lily connaissaient déjà le programme du Dr Somasudaram et elles ont fait le nécessaire pour que ce mois-ci, il forme une équipe de 50 intervenants en santé communautaire de la Croix-Rouge provenant d’un programme que la Croix-Rouge canadienne gère dans la région depuis 1998. Les intervenants en santé communautaire qui travaillent partout dans le Nord du pays ont été mobilisés immédiatement après le tsunami pour fournir les premiers soins. Ils travaillent maintenant dans des camps de transit, fournissant une aide psychosociale, des premiers soins et une sensibilisation à l’hygiène aux personnes déplacées.
Nous avons poursuivi notre mission d’évaluation en nous dirigeant plein sud vers Puthukudiyiruppu, située à une quinzaine de kilomètres de la côte Nord-Est et où se trouve un hôpital de district. Le CICR et la Croix-Rouge allemande y soutiennent l’hôpital depuis le tsunami et la Croix-Rouge canadienne contribue à l’effort en y assignant la déléguée Marg Lachmuth, une infirmière de Calgary.
Pendant que mes collègues passaient en revue les opérations et les besoins de l’hôpital, j’ai accompagné Marg durant ses visites. Elle m’a racontée avoir récemment soigné deux jeunes filles, âgées de 11 et 16 ans, souffrant de crises épileptiques apparemment causées par le traumatisme de la perte de membres de leurs familles et par le fait d’avoir été témoins des conséquences du tsunami. «Une femme âgée est venue à l’hôpital et lorsque je lui ai demandée ce qui n’allait pas, elle a répondu “ Je suis tellement fatiguée. Tout ce que je veux c’est me reposer.” Tant de choses sont arrivées dans la vie de ces personnes, mais elles continuent à aller de l’avant.»
En quittant l’hôpital, nous nous sommes dirigées vers Mullaitivu sur la côte, où les premiers patients sont arrivés après le tsunami. En chemin, nous sommes passées devant un camp de transit, où le CICR fournit des abris, de l’eau et des installations sanitaires. Il s’agit de l’un des nombreux camps soutenus par le CICR dans le Nord et l’Est de l’île.
À notre arrivée sur la plage de cette ville dévastée, nous avons rencontré un pêcheur qui tirait des petits poissons de son filet entortillé. Naghingam Thiruchchavam a réparé son bateau et il a repris la mer. Parmi les 2 000 bateaux de pêche qu’on trouvait dans ces eaux, le sien était l’un des deux n’ayant pas été endommagés. Il a pu sauver son bateau, mais ses quatre enfants sont morts et sa maison a été détruite. Il vit désormais dans un centre de bien-être.
La Croix-Rouge collabore avec les autorités pour déplacer les gens vivant dans les centres de bien-être gérés par le gouvernement, souvent situés dans des écoles et des temples, vers des camps de transit à moyen terme qui offrent des abris, de l’eau et des installations sanitaires.
Nous avons poursuivi notre voyage en parcourant plusieurs centaines de kilomètres vers le sud jusqu'à la ville de Vavuniy, où se trouve la frontière entre le Nord et le Sud du Sri Lanka. En roulant dans la zone neutre de 500 mètres entre les deux frontières, j’ai remarqué Robin Creelman, originaire de Truro, en Nouvelle-Écosse, qui facilite le déplacement des civils et des biens entre les deux régions.
Robin semblait heureux de nous voir et après nous avoir servi du café dans la hutte au toit de chaume qui sert de poste permanent du CICR dans le milieu de la zone neutre, il nous a décrit les premiers jours suivant le sinistre. «Tôt le 26 décembre, des camions transportant des personnes grièvement blessées ont commencé à se présenter ici en essayant de se rendre à l’hôpital du Sud le plus près. Dans les premiers temps, nous ignorions ce qui se passait. Mais les autorités des deux côtés sont intervenues rapidement, en allongeant les heures officielles où il est permis de traverser la frontière. Celle-ci est restée ouverte durant 24 heures, permettant le déplacement des blessés et des articles de secours entre les deux régions.» Robin continue de faciliter l’envoi d’aide dans le Nord.
Une autre Canadienne, Catherine Godin, de Montréal, gère les opérations du CICR dans la région, à titre de chef de la sous-délégation de Vavuniya. Elle nous a décrit une situation similaire.
«Le 26 décembre, nous avons réalisé que quelque chose se produisait à la frontière. À mon arrivée là-bas, des autocars remplis de blessés arrivaient du Nord. J’ai mobilisé les véhicules de la Croix-Rouge et nous avons aidé à transporter les blessés à l’hôpital. Dans les premières heures, nous n’avions pas idée de l’ampleur de ce qui se produisait. Nous nous efforcions seulement de répondre aux besoins.»
Bien que située dans l’arrière pays, Vavuniya est à proximité de la route de transit A9, sur laquelle repose l’économie du pays. Dans les premières heures et les premiers jours, Catherine a dû mobiliser les secours immédiats, puis elle a supervisé le transport vers le Nord de 78 camions chargés de secours.
Pour la dernière partie de notre voyage de cinq jours, nous sommes allées à Batticaloa, une région durement touchée sur la côte Nord-Est. J’y ai rencontré une équipe de recherche composée de bénévoles de la Croix-Rouge de Sri Lanka. Ils ont poursuivi leurs efforts tout en me montrant la pile de centaines de photos de cadavres qu’ils ont rassemblé. Ils tentent maintenant de permettre aux familles d’identifier les cadavres.
«Les gens ont besoin de savoir ce qui est arrivé à leur famille pour les aider à aller de l’avant», a déclaré Rajaseelvan, le coordonnateur des recherches. Par la suite, j’ai réalisé qu’il parlait de sa propre expérience. Cet homme âgé de 23 ans a décrit comment il a perdu sa mère et sa sœur âgée de 11 ans qui s’étaient réfugiées dans un arbre avec son père. «C’est la deuxième vague, dit-il. Nous avons trouvé leurs corps le jour même. Je voulais que les autres sachent aussi ce qui était arrivé à leurs proches.»
À ce moment, j’ai été bouleversée par la force de ce jeune homme et par sa capacité à aider les autres malgré sa propre perte. Les Canadiens aident les milliers de personnes touchées par le tsunami, mais c’est la résilience de la population qui contribuera le plus à son rétablissement.