Dévastation, traumatisme et ressort au Sri Lanka

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par Judi Fairholm

Judi Fairholm est récemment rentrée au Canada après une mission de la Croix-Rouge canadienne au Sri Lanka où elle a aidé à coordonner la formation de travailleurs communautaires pour un projet financé par la Croix Rouge canadienne. Elle vit à Vancouver et elle est directrice nationale, ÉduRespect : Prévention de la violence, Croix-Rouge canadienne.

Sur une plage de Mullaitivu dans le nord-est du Sri Lanka, les vagues de l’Océan qui soutient le travail, les espoirs, les rires et la vie de la population depuis des générations se brisent mollement sur le sable.

Malgré le chaud soleil de l’après-midi, j’ai un frisson en regardant la plage. Je ne vois que des débris. Les corbeaux sont les seuls signes de vie. Alors que je grimpe sur des murs brisés et des blocs de béton, j’imagine la panique des gens courant pour échapper aux vagues le 26 décembre 2004, et je me demande « Comment réagit-on lorsque son monde est complètement transformé en trois minutes? », « Comment réagit-on lorsque l’élément qui nous permet de gagner notre vie et qui est source de bonheur devient notre pire cauchemar? », « Comment fait-on pour continuer à vivre lorsqu’on a vu autant de gens mourir et était témoin d’une telle destruction? ».

Je me tiens devant une statue religieuse et me demande comment elle a été épargnée. Je passe la porte d’une église et me retrouve devant rien, en me demandant combien de personnes ont fait de même ce matin là, avec leurs espérances, leurs prières et leurs peines. J’essaie de dire une prière, mais aucun mot ne me vient à l’esprit.

Toutefois, même au milieu de ces ruines, la force de l’esprit humain commence à transcender la destruction et la peine.

Je regarde trois pêcheurs réparant leurs filets et préparant leur bateau. Dans cette région qui comptait jadis 2 000 bateaux de pêche, on en trouve rien que deux. Un des hommes me dit qu’il a perdu quatre de ses enfants durant le tsunami, mais qu’il a en sauvé un ainsi que sa femme. Aujourd’hui, pour refaire sa vie, il doit affronter l’Océan.

Dans la ville, on reconstruit des magasins entre les murs brisés et les structures vides et on recommence à y trouver des marchandises. De la musique retentit dans la rue. Un taxi « tuk tuk » à trois roues passe tout près à la recherche de clients.

Dans le lagon juste à l’extérieur de la ville, des hommes réparent leurs casiers à crevettes et pêchent des poissons. L’un d’eux s’approche et me montre fièrement le poisson qu’il a attrapé, comme j’en ai vu tant d’autres faire partout dans le monde.

Je suis ici, pour le compte de la Croix-Rouge canadienne, pour coordonner la formation de travailleurs en santé communautaire et de bénévoles qui fourniront un soutien psychosocial à plus de 120 000 Sri-Lankais. Ce projet, effectué de concert avec la Croix-Rouge de Sri Lanka et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), est financé par des dons de Canadiens.

Les effets psychologiques de ce sinistre ont été profondément ressentis ici, particulièrement dans les régions où une grande partie de la population était déjà itinérante en raison du conflit armé. L’Océan, source d’emplois et partie intégrante de leurs vies, est maintenant la cause de dévastations.

Selon les médecins, les collectivités risquent maintenant un accroissement du nombre de cas de dépression, de troubles du sommeil, d’alcoolisme et de suicides.

Bien que l’on ait à effectuer un énorme travail de soutien psychosocial, la voie à suivre est simple. Selon les experts, plus de 90 % des personnes qui doivent faire face à un tel traumatisme n’ont pas besoin d’une aide professionnelle, mais simplement d’une oreille compréhensive et empathique. Le professeur Somasundaram, chef de la psychiatrie à l’université de Jaffna, qui est en charge de l’intervention psychosociale, souligne que le besoin le plus important est de disposer de « personnes pouvant partager les pleurs et la confusion, et rassurer les personnes sinistrées qu’elles réagissent normalement à une situation anormale. »

Grâce à une formation intensive de dix jours, des travailleurs de la santé et des bénévoles locaux apprendront à écouter, à venir en aide, ainsi qu’à reconnaître et à soutenir le processus de deuil, et à repérer les personnes ayant besoin d’une aide plus spécialisée. Ils deviendront des acteurs clés pour le mieux-être et le ressort de leurs collectivités.

Lors d’un arrêt dans un camp soutenu par le Mouvement international de la Croix‑Rouge, j’ai tenu un bébé de trois mois. Il y a deux mois, lors du tsunami, sa jeune mère a couru pour échapper au mur d’eau en serrant fort la fillette. Aujourd’hui, le bébé est en sécurité et me sourit. Sa mère a agrandi leur tente en ajoutant des bâches pour y faire la cuisine. À plusieurs mètres de là, un groupe d’enfants joue en riant et en discutant.

Je m’émerveille de voir l’incroyable ressort psychologique des gens.

Les sentiments de désespoir et de perte sont bien réels, mais ne sont pas permanents. En opposition directe au traumatisme, on trouve la démonstration du ressort des individus et des collectivités. Je suis émue par leurs sourires, leur volonté de partager leurs expériences et leur reconnaissance de l’aide reçue.

Je me demande : « Comment pouvons-nous nous joindre à leur quête de vie, non pas en tant que diagnosticiens, mais comme partenaires pour affronter le lendemain? Comment pouvons-nous alimenter leur ressort pour qu’ils puissent continuer à développer leur autonomie? »  

Le périple est long et difficile – il y a beaucoup de débris internes et externes – mais l’esprit des personnes sinistrées est bien vivant et il émerge de la destruction.