Pour lutter contre la violence sexuelle, il faut outiller le spectateur

Sheldon Kennedy, Respect Group Inc.

Sheldon Kennedy, Respect Group Inc.

Sheldon Kennedy, Respect Group Inc.

Le témoignage qui suit a été présenté mardi au sous-comité des enfants et des familles du Congrès américain par Sheldon Kennedy, cofondateur de Respect Group Inc.

Pour bon nombre de Canadiens, le hockey passe avant tout. C’est notre passion, notre culture et notre fierté nationale. Comme la plupart des jeunes garçons qui ont grandi dans les Prairies, je rêvais de jouer dans la Ligue nationale de hockey, et j’ai eu la chance de voir mon rêve se réaliser. J’ai joué avec les Red Wings de Détroit, les Bruins de Boston et les Flames de Calgary.

Cependant, ce n’est pas pour mon rêve que les gens me connaissent, mais bien pour mon cauchemar. Quand je jouais au niveau junior, j’ai subi pendant plusieurs années les gestes de harcèlement et d’abus sexuel de mon entraîneur Graham James. Malgré la nature de ces gestes, le tort que j’ai subi et le fait que je savais que ce dont j’étais victime n’était pas correct, il m’a fallu plus de 10 ans pour en parler aux autorités. Pourquoi n’ai-je rien dit? Je me pose encore la question, et souvent. Je sais aussi que c’est la question que tous les autres se posaient. Et que c’est la question qui embête les millions de victimes d’abus sexuel dans le monde entier.

Même si j’ai consacré un livre entier à ce sujet, la réponse à cette question est fort simple : parce que je pense que personne ne m’aurait cru. Dans mon cas, mon agresseur avait été nommé homme de hockey de l’année au niveau international. Au Canada, ce titre lui conférait presque le statut de dieu. Cela vous dit quelque chose?

L’homme qui m’a agressé profitait de son poste d’entraîneur pour s’occuper d’enfants particulièrement vulnérables (familles monoparentales, parents alcooliques, garçons à la recherche d’une figure paternelle, etc.). Ces jeunes – et souvent leurs parents aussi – le considéraient comme un héros. C’était une personne qui pouvait les aider à réaliser leurs rêves et il utilisait cette confiance pour leur causer du tort. Ce déséquilibre de pouvoir et d’autorité crée un problème encore plus grave et c’est sur celui‑ci que je crois que votre sous-comité doit se pencher immédiatement pour prévenir la violence envers les enfants.

Dans chaque cas de violence envers les enfants – et certainement dans le mien – il y a des gens qui soupçonnaient que quelque chose n’allait pas, mais qui n’ont rien fait. Ils se disaient « Je ne veux pas me mêler de ça », « Ce n’est pas mon problème », « C’est impossible qu’il fasse une chose pareille » ou « La police s’en occupera ».

Et c’est sur cela que comptent les pédophiles et les prédateurs. Ils comptent sur l’ignorance des gens, ou pire encore, leur indifférence. C’est pourquoi les agresseurs d’enfants sont toujours bien présents. Et c’est à ce problème-là que vous devez vous attaquer.

D’après mon expérience, un enfant victime de violence doit le dire en moyenne à sept personnes avant que son histoire soit prise au sérieux. Sept. C’est complètement inacceptable.

Lorsque mon histoire a été révélée au grand public en 1997, il y a des gens qui ont refusé d’y croire. Plusieurs étaient fâchés que j’aie exposé une facette atroce du sport qu’ils vénèrent.

Heureusement, Hockey Canada a réagi avec sérieux et a obligé ses 70 000 entraîneurs à suivre une formation en prévention de la violence. Et c’est le message positif que je souhaite vous livrer ce matin.

Il y a sept ans, j’ai cofondé Respect Group Inc. en partenariat avec la Croix‑Rouge canadienne et ses experts reconnus au niveau international en prévention de la violence envers les enfants.

Ensemble, nous avons lancé un programme de formation en ligne pour dirigeants sportifs appelé « Respect et Sport ». Celui-ci vise à informer tous les adultes qui s’occupent de jeunes sur la prévention de la violence, de l’intimidation et du harcèlement, notamment à leur faire bien comprendre leurs responsabilités légales et morales.

À Respect Group, nous croyons qu’il se peut que nous n’éliminions jamais complètement la violence envers les enfants, mais en donnant les moyens d’agir à 99 % des adultes bien intentionnés qui travaillent avec nos jeunes, nous pouvons les réduire de beaucoup. Je suis fier de dire que, grâce à Respect et Sport, nous avons déjà certifié plus de 150 000 dirigeants qui travaillent auprès des jeunes, ce qui représente un pourcentage élevé des entraîneurs du Canada.

Bon nombre d’organisations sportives et d’autres organisations au service des jeunes font confiance au programme Respect et Sport, et la liste continue de s’allonger : Hockey Canada, Gymnastique Canada, l’administration provinciale du Manitoba, les commissions scolaires et quelques précurseurs ici aux États-Unis, dont USA Triathlon et USRowing. De plus, des organisations comme Hockey Canada et Gymnastique Canada ont mis en œuvre notre programme Respect et Sport conçu spécifiquement pour les parents.

Nous observons par ailleurs des initiatives proactives du gouvernement du Canada pour mettre fin à la maltraitance d’enfants, non seulement en resserrant les lois et en imposant des peines minimales aux agresseurs, mais en adoptant aussi une approche fédérale de sensibilisation à la prévention pour l’ensemble des ministères qui s’occupent de nos jeunes les plus vulnérables.

Nous avons appris que le changement social prend forme avec le temps et qu’il doit se produire tant au niveau communautaire qu’au niveau gouvernemental, de façon descendante. Je suis fier d’affirmer que c’est exactement ce qui se passe au Canada et j’espère qu’on pourra faire de même ici aux États-Unis.

Avec les années, par mon travail à Respect Group, j’ai appris :

  • que la sensibilisation des bonnes personnes – la tranche de 99 % bien intentionnée de notre population – est notre meilleur moyen de défense contre la violence;
  • qu’il faut offrir une formation obligatoire pour assurer la pleine conformité et réduire la responsabilité;
  • que l’information doit être simple et uniforme;
  • que toutes les formes de violence laissent les mêmes cicatrices psychologiques et que la formation doit donc être exhaustive;
  • qu’il est préférable de donner cette formation en ligne par souci d’uniformité, de sécurité de l’apprenant, de convivialité et de portée optimale;
  • qu’il doit s’agir d’une formation continue, et non ponctuelle.

Trop souvent, l’intervention de la société dans les cas de violence envers des enfants consiste à punir le criminel. Si l’enseignant, le prêtre ou l’entraîneur doit purger une longue peine de prison, on a l’impression qu’on a fait notre travail comme citoyens ou comme politiciens. On se sent bien lorsqu’on punit les méchants, sauf que ce n’est pas ce qui va régler le problème. Il faut donner à tous les adultes qui travaillent avec les jeunes et à tous les parents les outils pour reconnaître la violence et intervenir immédiatement.

Je suis loin de croire que cette méthode éliminera complètement la violence envers les enfants, sauf que je sais que la sensibilisation obligatoire crée une base à l’intérieur des organisations pour qu’un dialogue ait lieu. En donnant aux témoins les moyens d’agir, vous faites un premier pas important pour briser le silence qui entoure la violence envers les enfants.

Consultez Respect Group Inc. pour en savoir davantage sur le travail de Sheldon Kennedy.

Renseignez-vous davantage sur le travail de prévention de la violence de la Croix‑Rouge canadienne dans le cadre de son programme ÉduRespect : Prévention de la violence.